Le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation le 30 novembre 2010 (décision n° 1522 du 30 novembre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jean-Louis de L., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 5112-3 du code général de la propriété des personnes publiques.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;
Vu l'édit de Saint-Germain-en-Laye de décembre 1674 ;
Vu le décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 relatif aux domaines nationaux, aux échanges et concessions et aux apanages ;
Vu l'ordonnance du 9 février 1827 concernant les gouvernements de la Martinique, de la Guadeloupe et de ses dépendances, notamment le paragraphe 5 de son article 34 ;
Vu le décret du 21 mars 1882 supprimant l'inaliénabilité des 50 pas géométriques à la Guadeloupe, rendu applicable à la Martinique par le décret du 4 juin 1887 ;
Vu le décret du 23 avril 1946 modifiant, à la Martinique, la législation domaniale en ce qui concerne la réserve dite des 50 pas géométriques ;
Vu le décret n° 55-885 du 30 juin 1955 relatif à l'introduction dans les départements de la Guadeloupe, de la Guyane française, de la Martinique et de la Réunion, de la législation et de la réglementation métropolitaines concernant le domaine public maritime et l'exécution des travaux mixtes, et modifiant le statut de la zone dite « des cinquante pas géométriques » existant dans ces départements ;
Vu la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ;
Vu la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des cinquante pas géométriques dans les départements d'outre-mer ;
Vu les arrêts de la Cour de cassation n° 60-11713 et n° 62-12731 du 2 février 1965 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 décembre 2010 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 22 décembre 2010 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Jean-Pierre Chevallier pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 25 janvier 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 5112-3 du code général de la propriété des personnes publiques : « Les droits des tiers détenteurs de titres qui n'ont pas été examinés par la commission prévue par les dispositions de l'article 10 du décret n° 55-885 du 30 juin 1955 sont appréciés dans les conditions particulières suivantes.
« La commission départementale de vérification des titres, créée dans chacun des départements de la Guadeloupe et de la Martinique par le I de l'article 1er de la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996, apprécie la validité de tous les titres antérieurs à l'entrée en vigueur de ce décret, établissant les droits de propriété, réels ou de jouissance sur les terrains précédemment situés sur le domaine de la zone des cinquante pas géométriques dont la détention par la personne privée requérante n'était contrariée par aucun fait de possession d'un tiers à la date du 1er janvier 1995.
« Sous peine de forclusion, seuls les titres présentés dans un délai de deux ans à compter de la constitution de la commission départementale de vérification des titres sont examinés.
« Les personnes privées qui ont présenté un titre ne peuvent déposer une demande de cession à titre onéreux pour les mêmes terrains, dans les conditions fixées aux articles L. 5112-5 et L. 5112-6 tant que la commission n'a pas statué sur la validation de ce titre.
« Les personnes privées qui ont déposé un dossier de demande de cession à titre onéreux dans les conditions fixées aux articles L. 5112-5 et L. 5112-6 ne peuvent saisir la commission en vue de la validation d'un titre portant sur les mêmes terrains tant que la demande de cession n'a pas fait l'objet d'une décision de l'État » ;
2. Considérant que le requérant fait valoir que, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, la commission départementale de vérification des titres ne peut valider que les titres de propriété délivrés à l'origine par l'État ; qu'il soutient que la disposition ainsi interprétée est contraire au droit de propriété, au principe d'égalité et à la sécurité juridique ;
3. Considérant qu'il ressort des arrêts de la Cour de cassation du 2 février 1965, confirmés depuis lors, que la validité d'un titre de propriété portant sur un terrain situé dans la zone des cinquante pas géométriques est subordonnée à la condition que ce titre ait été délivré par l'État, qui seul a pu procéder à la cession à un tiers d'un terrain en faisant partie ;
4. Considérant qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ;
5. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que son article 17 proclame : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ;
6. Considérant qu'il ressort de l'édit de Saint-Germain-en-Laye de décembre 1674, du décret des 22 novembre et 1er décembre 1790, de l'ordonnance du 9 février 1827, ainsi que des décrets du 21 mars 1882 et du 4 juin 1887, susvisés, qu'à l'exception de « ventes particulières » faites antérieurement à l'édit de 1674 qui les a validées, les terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique n'ont pu être aliénés que par l'État ; qu'en conséquence, sous réserve des droits résultant d'une telle cession ou validation par l'État, aucun droit de propriété sur ces terrains n'a pu être valablement constitué au profit de tiers ; qu'il s'ensuit que doit être écarté le grief tiré de ce que la disposition contestée, en vertu de laquelle les seuls titres opposables à l'État antérieurs à l'entrée en vigueur du décret du 30 juin 1955 sont ceux délivrés ou validés par lui, serait contraire au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'il en est de même des griefs tirés de la violation de la garantie des droits proclamée par son article 16 et du principe d'égalité devant la loi ;
7. Considérant que l'article L. 5112-3 du code général de la propriété des personnes publiques n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,
DÉCIDE :
Article 1er.- L'article L. 5112-3 du code général de la propriété des personnes publiques est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 février 2011, où siégeaient : M. Jacques BARROT, exerçant les fonctions de Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 4 février 2011.